Prose du Transsibérien
et de la petite Jeanne de France

de Blaise Cendrars

Ecouter des extraits :

 

Alain Le Goff TranssibérienIl y a des poèmes – comme des gens - que l’on rencontre au hasard de sa jeunesse et avec qui l’on chemine tout au long de sa vie, sans doute parce qu’ils disent le cœur obscur de votre être au monde, de votre désir du monde ; ils sont plus larges que vous et vous finissez pas d’en mâcher des bouts aux heures d’allégresse ou d’incertitude.
« Les lointains sont par trop loin et au bout du voyage c’est terrible d’être un homme avec une femme ». Comme du pain sec pour sa fin. Comme des lampes allumées dans la nuit. Ces mots sont les seules passerelles que l’on peut lancer sur les eaux tumultueuses du fleuve, les mots sont la seule certitude, les mots et la conscience d’être en route.

La Prose du Transsibérien dit tout cela et un peu plus : La guerre, la faim, le froid, les plaines sibériennes, le ciel vide, les locomotives en furie, l’éphémère chaleur de l’amour, le monde moderne, Jeanne la petite prostituée… Chacun y trouve à nourrir sa faim, parce qu’un grand poème est toujours plus que l’assemblage des mots.

Cendrars dès 1913 – date de l’écriture de La Prose du Transsibérien – pressent la démesure meurtrière du siècle qui va venir, le grand Broyeur des valeurs, des certitudes, des vies ; tout explose, tout se recompose, « la voie ferrée est une nouvelle géométrie » et les maîtres de la technique sont les nouveaux démiurges, «  les trains sont les bilboquets du diable ».

Cendrars le sent, Cendrars le sait. « Le diable est au piano… » Le diable n’a sans doute depuis jamais quitté le piano, et notre seule chance est de dire, et dire encore, à haute voix, pour soi-même, pour les autres, la Poésie. Parce que la « Grande Parole » empêche le monde de retourner au chaos.

Alain le Goff et Michel AumontQuand on est homme de parole et qu’on se retourne sur son chemin, on sait que la fulgurance de la rencontre en son adolescence avec la poésie n’était pas fortuite, mais le cœur même de son être au monde, de sa relation au monde et le moins que l’on puisse faire c’est de porter haut le chant secret qui a rythmé son pas. Quand on est homme de parole, on parle parfois trop longtemps, trop souvent, on finit par user le langage, il faut revenir au silence, s’immerger dans l’eau primordiale du verbe, dans l’innocence des mots, là où l’être obscur est en gestation permanente. Dans un temps où la parole est anathème, propagande, slogan publicitaire et verbiage marchand, il va de notre survie d’êtres humains, d’aller chercher la Terre nourricière profonde du langage. Urgence de la poésie !

Quand on est conteur et habitué à la liberté de sa propre parole, ce n’est jamais simple de se glisser dans les habits d’un autre, d’habiter une autre musique, un autre rythme, une autre prosodie. L’aventure est risquée sauf à penser qu’un grand poème appartient à tout le monde, un grand poème est le langage même.
Quant à ce qui va naître de cette rencontre avec La Prose du Transsibérien, il est encore trop tôt pour le dire – le poème œuvre dans l’ombre, en silence – il n’est pas bon d’enfermer la Parole dans des cadres trop contraignants, elle y étouffe ;

La Prose du Transsibérien est un chantier, une mise en chantier, une mise en danger. Disons qu’il s’agit ici d’une première traversée, d’un premier voyage… et le bonheur du voyage c’est que le chant/champs du monde est toujours ouvert.

Récit et Musique

Récit Alain Le Goff
Musique Michel Aumont
Création lumière Jean Michel Bourn

Durée 1h